Résumé AV0B4
Oncologie 4.0 : d’une médecine oncologique déterministe et réductionniste à une médecine oncologique de la complexité et systémique.
Oncology 4.0
M Campone (1), A Patsouris (2), E Bourbouloux (1), P Augereau (2), C Gourmelon (1), S Abadie-Lacourtoisie (2), D Berton (1), P Soulié (2), M Robert (1), J.S. Frenel (1)
(1) ICO René Gauducheau, bd Jacques Monod, 44805 ST-HERBLAIN, France
(2) ICO Paul Papin, 15 rue André Boquel, CS 10059, 49055 ANGERS cedex 2, France
Oncologie
Complexité
Déterminisme
Oncology
Complexity
Determinism
Introduction
La médecine personnalisée est née en cancérologie avec l’émergence des thérapies ciblées à la fin des années quatre-vingt dix.
L’avènement de cette médecine est lié au développement de technologies moléculaires à haut débit, comme la génomique, la transcriptomique, la protéomique. Elle repose sur la théorie des mutations somatiques de la carcinogenèse.

De la théorie des mutations somatiques aux applications thérapeutiques.

Les stratégies thérapeutiques de première génération.
Cette démarche thérapeutique repose sur les théories de mutations somatiques de la carcinogenèse. Ce processus (1) est déterminé par l’accumulation au cours du temps d’aberrations génétiques somatiques (mutation, amplification, délétion) et de dérégulations épigénétiques (mécanismes de méthylation ou d’acétylation des gènes). La résultante de ces anomalies génétiques est l’activation d’oncogènes et l’inactivation de gènes suppresseurs de tumeurs.
Les données expérimentales, à partir de modèles murin ou de culture cellulaire montrent que malgré le nombre important d’anomalies génétiques acquises par les cellules tumorales, la réversion d’une seule de ces anomalies suffit à inhiber la croissance tumorale et induire l’apoptose de ces cellules.
La cellule tumorale est fortement dépendante d’une voie oncogénique dominante. On parle alors, d’oncogène addiction (2 ; 3).
Les cellules tumorales sont beaucoup plus dépendantes de l’activité d’oncogènes spécifiques et plus sensibles aux effets antiprolifératifs des gènes suppresseurs de tumeurs (hypersensibilité aux gènes suppresseurs de tumeurs) que les cellules normales (4). L’activation de cette voie oncogénique dominante va induire des signaux antagonistes (pro-apoptotique, anti-apoptotique, prolifération ou arrêt cellulaire). Cependant seuls les signaux de prolifération et de survie cellulaire seront prépondérants. Cette voie oncogénique dominante va induire par conséquent une addiction à des processus non-oncogéniques de survie cellulaire (5).
Cette fragilité est mise à profit en contexte clinique par le développement d’agents thérapeutiques (inhibiteurs de kinase) qui vont inhiber cette voie oncogénique « addictive ». Ces thérapies vont induire un « choc oncogénique » (6). L’induction de ce choc, dynamique au cours du temps, va induire un déséquilibre de signaux favorisant cette fois des signaux d’arrêt et de mort cellulaire.
Dans le cancer du sein les voies de signalisation ER et HER2 sont considérées comme des voies oncogéniques addictives.
La mise sous silence de ces voies addictives oncogéniques par des thérapies anti-estrogéniques (SERM, SERD et anti-aromatases) ou des thérapies ciblant HER2 (trastuzumab, pertuzumab, lapatinib) induit des signaux agonistes et antagonistes de mort, de survie, d’arrêt et de prolifération cellulaire. Dans un premier temps les signaux de mort et d’arrêt de prolifération seront prédominants induisant un choc oncogénique et par conséquent une réponse thérapeutique. Dans un deuxième temps, la tumeur met en place des mécanismes adaptatifs d’échappement thérapeutique. Les signaux de prolifération et de survie deviennent prépondérants et les cellules tumorales deviennent alors résistantes aux thérapies (7).


Les stratégies thérapeutiques de seconde génération : théorie de la sédimentation
La conséquence directe de ces constatations est d’ordre thérapeutique. Pour améliorer l’index des thérapeutiques des thérapies ciblées dans la prise en charge du cancer du sein, il est donc capital d’identifier les signaux, qui sont et seront mis en jeu lors de l’activation et de l’inactivation de la voie oncogénique addictive.
Ces mécanismes adaptatifs aux thérapies anti-estrogéniques sont : une augmentation de la concentration en estrogènes au sein de l’environnement tumoral, des modifications post-traductionnelles, une activation du récepteur via mutation du gène ESR1, une amplification des boucles de rétrocontrôle médiées par les récepteurs transmembranaires des facteurs de croissance (HER, FGR-R, IGF-R) et leur seconds messagers (comme la voie RAS-RAF-MAPKinase) et tout particulièrement la voie PI3K/AKT/mTOR (8).
Concernant les thérapies anti-HER2, et tout particulièrement le trastuzumab, les mécanismes peuvent être induits par l'interaction entre l'environnement péritumoral et le complexe trastuzumab-récepteur via la constitution d'hétérodimères entre les membres de la famille HER ou avec d'autres récepteurs ou être dus à un échec de la transduction du signal. Ainsi, la coexpression des récepteurs des facteurs de croissance (famille IGF-R, c-Met) et l'activation de la voie PI3K-Akt, essentiellement par perte de la fonction de PTEN, semblent jouer un rôle majeur dans l'apparition des voies de redondance (9).
L’identification des voies secondaires adaptatives a conduit à développer des stratégies additives dites de sédimentation en poursuivant la thérapie initiale et en ajoutant une deuxième thérapie (9). Cette stratégie (10-19) a démontré son efficacité aussi bien chez les patientes ER+ (inhibiteur de CDK, mTOR, PI3Kinase) que chez les patientes HER2+ (pertuzumab, lapatinib).


Les stratégies thérapeutiques de troisième génération : SHIVA
Cette stratégie dérive directement de la première stratégie par l’identification par technique de séquençage d’ADN d’anomalies ciblables par une molécule spécifique.
L’étude princeps de cette approche est l’étude SHIVA rapportée par C. Le Tourneau et al (20).
L’objectif principal de cette étude était de démontrer que donner l’agent thérapeutique spécifique du profil moléculaire (récepteurs hormonaux, PI3K / AKT / mTOR / RAF / MEK) de la tumeur, obtenue après biopsie, améliore la survie sans progression (SSP) par rapport au traitement conventionnel.Cette étude de phase II randomisée, multicentrique, a inclus 714 patients dont seulement 195 ont été randomisés. En terme de SSP, il n’existe aucune différence entre le bras expérimental et le bras contrôle (2,3 mois vs 2 mois, respectivement).
Une seconde étude est en cours en France : il s’agit de l’étude SAFIR 2.

La théorie holistique ou une approche systémique d’une maladie complexe (21).
Ccette approche déterministe a ses limites. Identifier une anomalie moléculaire au niveau du génome tumoral ne permet pas à ce jour de définir une stratégie optimale. La problématique du déterminisme peut s’énoncer de la manière suivante : un système à un état t détermine-t-il son état à tout instant t’. En d’autres termes, l’analyse génomique de la tumeur primitive va t-elle nous révéler son avenir ? Pouvons nous prévoir le futur en connaissant le passé et le présent ? La réponse est évidemment non. Le cancer est une maladie plus complexe. Cette complexité se définit comme un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisée.
Un système complexe est constitué d’une grande variété de composants ou d’éléments qui possèdent des fonctions spécialisées avec une organisation hiérarchique interne, reliés entre eux par des relations non linéaires.
L’analyse d’un système complexe nécessite une approche globale. Effectivement, comme énoncé par Pascal, « il est impossible de connaitre les parties sans connaitre le tout et non plus connaitre le tout sans connaitre les parties ».Il convient d’aborder tous les aspects d’un problème progressivement et non par réductionnisme par une analyse des détails. Les interactions qui lient chaque unité d’un système sont primordiales. Ces interactions permettent d’échanger des informations. Ces flux d’informations vont permettre au système de s’auto-organiser.
Cette approche méthodologique nous fait évoluer d’une vision réductionniste, disjonctive, analytique de caractérisation des composants de la cellule (gènes, transcrits, protéines, etc.) à une vision globale, systémique, conjonctive et organisationnelle. Elle met en exergue un réseau d’interactions dynamiques d’un organisme avec son environnement constamment évolutif dans le temps et dans l’espace.
En étudiant les relations et les interactions entre les différentes parties du système biologique sous la forme d’aller-retour entre expérimentation et travail théorique, le chercheur tente de découvrir un modèle de fonctionnement de la totalité du système.
Cette approche se fonde sur la théorie du champ d’organisation tissulaire. Cette théorie repose sur la désorganisation des interactions entre l’environnement tumoral et la tumeur. Les carcinogènes induisent alors, par cette perte d’interaction, une diminution de la capacité des cellules à s’organiser dans le temps (différenciation) et dans l’espace, à se positionner les unes par rapport aux autres. Cet environnement désorganisé aboutit à une prolifération des cellules tumorales. De plus cette approche permet d’expliquer la réversibilité du phénotype tumoral par changement de l’environnement. De nombreux travaux valident cette approche. Nous citerons tout particulièrement les travaux de Gould et al (22). Le N-méthyl-nitroso-urée (NMU) induit des cancers du sein chez le rat. Gould n’expose pas l’ensemble de l’animal au MNU mais expose séparément l’épithélium et le stroma. Il observe que la recombinaison stroma exposé et épithélium normal induit des cancers et que l’inverse non. Par conséquent la cible du carcinogène est le stroma induisant alors d’une modification des interactions avec l’épithélium. Par conséquent il existe alors une désorganisation des tissus et de leur capacité de se réparer. Les cellules acquièrent alors une capacité de prolifération et de migration.

Conclusion
L’approche déterministe du cancer possède de nombreuses limites. Nous devons prendre l’ensemble de ces données, ce qui permettra de modéliser le cancer au cours de ses différentes étapes de développement et aidera à sa compréhension. La biologie des systèmes, qui est aujourd’hui appliquée à des organismes modèles, peut être considérée comme le fondement de la médecine de demain, qui sera une médecine systémique. Le développement de la bio-informatique et des biomathématiques est donc crucial pour modéliser l’impact des multiples anomalies sur l’organisme, à l’échelle individuelle. Les outils de simulation, ultime étape, permettront de valider les algorithmes que nous aurons alors définis au cours du temps.





Bibliographie
10. J. Baselga, M. Campone, M. Piccart, et al. Everolimus in postmenopausal hormone-receptor-positive advanced breast cancer. N Engl J Med, 366 (2012), pp. 520–529.
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13. Baselga J, Im S-A, Iwata H, Clemons M, et al. PIK3CA status in circulating tumor DNA (ctDNA) predicts efficacy of buparlisib (BUP) plus fulvestrant (FULV) in postmenopausal women with endocrine-resistant HR+/HER2– advanced breast cancer (BC): First results from the randomized, phase III BELLE-2 trial. SABCS, 2015, S6-01.
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16. M. Cristofanilli, NC Turner, I. Bondarenko et al. Fulvestrant plus palbociclib versus fulvestrant plus placebo for treatment of hormone-receptor-positive, HER2-negative metastatic breast cancer that progressed on previous endocrine therapy (PALOMA-3): final analysis of the multicentre, double-blind, phase 3 randomised controlled trial. Volume 17, Issue 4, April 2016, Pages 425–439.
17. Baselga J, Cortés J, Kim SB, et al; CLEOPATRA Study Group. Pertuzumab plus pertuzumab plus docetaxel for metastatic breast cancer. N Engl J Med. 2012 Jan 12;366(2):109-19.
18. Geyer CE, Forster J, Lindquist D, and al. Lapatinib plus capecitabine for HER2-positive advanced breast cancer. N Engl J Med. 2006 Dec 28; 355(26):2733-43
19. Blackwell KL1, Burstein HJ, Storniolo AM, et al. Overall survival benefit with lapatinib in combination with trastuzumab for patients with human epidermal growth factor receptor 2-positive metastatic breast cancer: final results from the EGF104900 Study. J Clin Oncol. 2012 Jul 20; 30(21):2585-92.
20. Le Tourneau C, Delord JP, Gonçalves et al. SHIVA Molecularly targeted therapy based on tumour molecular profiling versus conventional therapy for advanced cancer (SHIVA): a multicentre, open-label, proof-of-concept, randomised, controlled phase 2 trial. Lancet Oncol. 2015 Sep 3
21. Gilber, SF and Sakar S. Embracing complexity/ Organicism for the 21 st century. Developmental dynamic. 2000 ; 219 : 1-9.
22. Gould MN. Rodent models for the study of etiology, prevention and treatment of breast cancer. Seminars in Cancer Biology. 1995; 6: 147-152.
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