"Le cancer du sein est une urgence thérapeutique" : Pour toutes les patientes ? Une prise en charge rapide est-elle compatible avec le temps d'adaptation psychologique ?

"Breast cancer is a therapeutic emergency" : For all patients ? Is fast program compatible with the time of psychological adaptation ?

A-L Sedda, Psychologue clinicienne, Centre Oscar Lambret, 3 rue Frédéric Combemale, 59020 Lille, France

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Malgré les avancées thérapeutiques, le diagnostic de cancer du sein confronte les femmes à la représentation de leur mort possible et à la souffrance globale. A ces représentations angoissantes, s’ajoute l’appréhension légitime de subir des traitements douloureux impactant l’image corporelle et la féminité. L’annonce du diagnostic fait office de trauma et plonge dans l’effroi. Même si l’adaptation est possible, la rencontre avec la maladie grave crée une rupture dans la vie du sujet. Une fois le diagnostic confirmé, les patientes éprouvent le besoin légitime d’être informées sur le stade de leur maladie, les traitements envisagés et leurs chances de guérison. L’anxiété ressentie fait naître un sentiment d’urgence à rencontrer un oncologue qui les prendra en charge. A ce stade, les délais d’accès aux soins estimés comme trop longs sont anxiogènes et peuvent être vécus comme une perte de chance. La mise en place des parcours rapides depuis quelques années semblent vouloir répondre à l’urgence ressentie au moment de l’annonce par la majorité des femmes. La diminution des délais écoulés entre le moment du diagnostic avéré et la première consultation avec un oncologue est souvent évoquée comme un critère témoignant de l’efficacité de la prise en charge médicale d’un lieu de soins. Cependant, il nous semble légitime de nous interroger sur l’impact psychique de l’accélération du temps médical en sénologie. La prise en charge précoce est-elle toujours bénéfique pour les femmes ? Les enjeux psychiques des nouvelles temporalités n’ayant pas fait l’objet d’études, nous étayerons nos propos par l’expérience clinique et la réflexion menée depuis longtemps par les psycho-oncologues sur la question du temps en oncologie. En effet, la question des délais et des attentes renvoie à la problématique fondamentale de la temporalité : Le temps de la maladie, le temps médical et le temps de la patiente (temps psychique, subjectif), temporalités distinctes n’allant pas toujours de concert. Le psychisme ne sait pas gérer l’immédiateté. Le flot d’angoisses ressenties au moment de l’annonce du cancer empêche l’intégration de l’événement et complique la compréhension des informations ainsi que les prises de décisions. La tentation est grande pour la patiente et pour le soignant de vouloir répondre à l’anxiété par l’agir, la mise en acte immédiate d’une réponse médicale qui n’aura pas été pensée, imaginée par le sujet, faute de temps. Ce phénomène de sidération psychique s’estompe avec le temps pour faire place à la réaction émotionnelle et à l’adaptation. Une des caractéristiques de l’alliance thérapeutique est le respect de la temporalité de chacun. La première consultation avec l’oncologue après l’annonce diagnostique peut être envisagée comme un espace-temps respectueux de la temporalité psychique propre à chaque femme. Ainsi, si la situation médicale de la patiente l’autorise, un temps de latence convenu avec elle peut être favorable à l’adaptation psychologique. Un temps expliqué, accompagné par les paroles rassurantes et l’attitude contenante du praticien permet à la femme de se défaire du sentiment d’urgence éprouvé. Ce délai convenu en toute confiance entre les protagonistes laisse le temps au psychisme d’intégrer la réalité du diagnostic et agit comme un sas de décompression : La patiente, prise en compte dans sa singularité, y trouve l’opportunité de se réapproprier le temps pour penser et anticiper les changements à venir.

Les nouvelles modalités de prise en charge du cancer du sein visant à réduire les délais et à traiter plus rapidement les femmes accentuent l'inadéquation entre le temps médical et la temporalité psychique. L'adaptation à la maladie et aux traitements mobilise massivement le psychisme et nécessite un temps pour penser, intégrer, mettre en mots l'événement cancer. L'alliance thérapeutique se construit dans le respect de la temporalité et de la singularité de chacun.